Jean-Paul Procureur (présentateur de l’émission)
[Il manque le début] Carine Danis, de la Sabena et aussi avec Gisèle Marlière, responsable d’une importante association de handicapés. Tout de suite, le reportage : Monika Wachter.
[Musique de générique]
Voix off
Isabelle Lepersonne a la sclérose en plaques. Son plaisir en hiver, c’est de partir au soleil en Espagne. Cette année, elle avait réservé son vol deux mois à l’avance, mais dix jours avant son départ, l’agence de voyages lui annonce qu’elle ne pourra pas partir en raison, d’abord, d’un problème d’assistance.
Isabelle Lepersonne
C’est également un problème de quota de fauteuils roulants que nous pouvons accepter dans la soute. Pour une question sécurité. Nous en avons déjà deux vous, vous êtes le troisième, nous ne pouvons pas accepter : la compagnie refuse votre départ.
Voix off
L’agence finit par lui trouver un vol sur une autre compagnie. Isabelle Lepersonne peut donc partir soulagée, mais comme à chaque fois, l’embarquement à bord de l’avion est un moment de stress. Un stress tellement important qu’elle n’a pas souhaité participer au tournage. Yves XX a bien voulu jouer son rôle. Comme elle, il s’est présenté au guichet spécial Sabena pour l’enregistrement.
Isabelle Lepersonne
Il faudrait, aussi, que j’aie des places à l’avant de l’avion, parce qu’évidemment, j’ai difficile de marcher jusqu’au bout et tout ça n’est jamais prévu à l’avance. Donc je dois arriver beaucoup plus tôt que les autres, parce que sinon on est mis dans le fond et il n’y a rien à faire.
Voix off
Mais l’instant le plus critique, c’est le moment de monter à bord. S’il y a un couloir d’accès direct jusqu’à la porte de l’avion, il n’y a aucun problème. Mais s’il y a un escalier, il faut se faire porter.
Isabelle Lepersonne
Ce sont des chaises à porteurs minuscules sur lesquels on a un sentiment d’insécurité totale. On a bien une sangle genre ceinture de sécurité de voiture qui nous tient.
Journaliste
Pour vous, c’est vraiment toujours un moment d’angoisse, ça.
Isabelle Lepersonne
D’angoisse terrible, oui.
Jeau-Paul Procureur
Retour sur le plateau, tout d’abord avec Patrick Jeandrain, porte-parole de la Sabena. Monsieur Jeandrain, tout d’abord, ce problème des deux voiturettes maximum qu’on peut accepter dans les soutes d’un avion, c’est pareil pour toutes les compagnies aériennes ?
Patrick Jeandrain
En fait, ce n’est pas une question de soute, c’est une question de pouvoir accepter deux personnes à mobilité réduite dans un certain type d’avion. Puisque dans de plus grands avions on peut en accepter jusque quatre, c’est simplement pour une question de sécurité en ce sens que si on doit évacuer l’avion pour une raison ou pour une autre, il faut pouvoir s’occuper des gens. Et si on a trop de personnes à mobilité réduite, à ce moment-là, on ne peut pas les évacuer à temps, et on pose ce problème-là à d’autres passagers, on pose un problème de sécurité à soi-même, au personnel et aux autres passagers. Et c’est pourquoi nous avons des réglementations qui nous imposent de prendre, dans ce type d’avion, tel qu’on l’a vu dans le reportage, deux personnes à mobilité réduite à bord de l’avion.
Jean-Paul Procureur
Vous avez accepté tout de suite de participer à ce débat parce que vous aviez dit qu’à la Sabena, l’accueil des personnes à mobilité réduite était une priorité. Vous entendez les critiques émises par madame Lepersonne. Cela vous aide à travailler, à vous rendre compte à aller plus loin ?
Patrick Jeandrain
C’est un service extraordinaire parce que, justement, c’est un service à des personnes qui n’ont pas la possibilité de voyager comme tout le monde et donc comme on essaye d’améliorer ce service aux personnes. C’est vrai que ça demande beaucoup de travail parce que chaque personne est différente et chaque personne a des désirs différents et surtout des mobilités qui sont très différentes. Et au fond, nous travaillons à l’améliorer de plus en plus et je crois que Carine ici, saura beaucoup mieux que moi, capable d’en parler parce qu’on fait beaucoup d’avancées dans le domaine et on essaye d’avoir un taux de satisfaction le plus élevé possible.
Jean-Paul Procureur
Oui… Madame Lepersonne ?
Isabelle Lepersonne
Dans un premier temps, j’aurai une question à vous poser. Comment, dans un cas de mobilité réduite, puisqu’il y a un quota de deux personnes, peut-on faire une course contre la montre, dirais-je, pour être parmi ces deux personnes et ne pas être la troisième ou la quatrième avec la probabilité certaine de ne pas pouvoir voyager. Ce stress que nous avons jusqu’à parfois quelques jours avant le départ, comme je l’ai vécu personnellement, comment se fait-il qu’on ne sait pas, un moment donné, bien avant, me dire au moment de la réservation, ne serait-ce : « Non, vous ne pourrez pas partir, vous êtes la troisième ou la quatrième. »
Patrick Jeandrain
Dans ce cas-ci, il y a très manifestement eu un problème de transmission d’informations. Parce qu’à partir du moment où l’information arrive à Sabena, nous avons automatiquement si le quota des deux personnes est ou non dépassé. Et dans votre cas, c’est vrai que c’est terriblement frustrant parce que vous avez pris votre billet un mois et demi avant le départ, et ce n’est que quelques semaines avant qu’on vous a dit que vous ne pouviez pas partir donc il y a eu, manifestement, un problème de transmission d’informations à ce moment-là, et qui est évidemment très…
Jean-Paul Procureur
Il faut rappeler ici qu’il s’agissait d’un vol charter et que nous avons vu que la version de la société auprès de laquelle vous aviez réservé votre voyage diffère assez fort de la vôtre. On voulait surtout, ici, mener le débat de façon générale.
Gisèle Marlière, vous êtes responsable l’ASPH, et aussi membre du Conseil Supérieur des Handicapés. C’est un thème qui a retenu vraiment très très fort l’attention sur lequel on travaille très, très fort au sein du Conseil Supérieur.
Gisèle Marlière
Oui, mais je tiens quand même à souligner que je ne suis pas ici en tant que représentante du Conseil National et je n’en suis pas mandatée puisque les travaux sont en cours, mais bien donc en tant que représentante, responsable d’une association : l’Association Socialiste de la Personne Handicapée et je tiens à revenir sur l’origine du débat, parce que, manifestement, au point de départ, il y a eu un problème, je dirais, de droit du consommateur, d’information, mais, l’autre problème, est donc un problème de fond. Et monsieur abordait très justement d’ailleurs, la limite des deux chaises voire même un petit peu plus, qui est fonction du nombre de sorties d’évacuation au niveau des appareils. Mais je pense qu’il faut quand même souligner qu’il y a encore tout un travail à faire lorsqu’on parle de personnes handicapées. Et donc, madame vient de parler… On a parlé de sécurité, il est un fait certain que, au point départ, lorsqu’on définit la personne handicapée dans les directives venant du ministère de l’aéronautique, on définit la personne handicapée comme un passager qui a besoin de l’assistance d’un tiers pour se déplacer rapidement vers une issue de secours, en cas d’urgence. Et c’est peut-être là qu’on pourra encore un peu plus travailler parce que toutes les personnes handicapées, mêmes voiturées, ne sont pas nécessairement dans la situation d’une personne qui a besoin d’une assistance pour se mobiliser. Pour autant, bien sûr, que l’outil qui fait partie, je dirais, vitalement et intrinsèquement, de sa vie de tous les jours, depuis qu’elle est handicapée, ait sa voiturette.
Jean-Paul Procureur
Vous nous dites qu’on a peut-être trop vite tendance à considérer la personne handicapée comme disons un poids, comme quelqu’un qu’il faut prendre en charge alors qu’elle pourrait peut-être se débrouiller ?
Gisèle Marlière
Dans la vie de tous les jours, lorsqu’elle a l’appareillage qui lui convient et qui fait partie de sa vie, vraiment de tous les jours, souvent, à la descente de son lit, cette personne est mobile. Et donc, il est évident que des personnes tout à fait dépendantes, il faut pouvoir aménager des systèmes de sécurité tant pour elles, qu’effectivement, pour les autres passagers, mais je pense qu’il y a des aménagements à…
Jean-Paul Procureur
Je voudrais faire réagir Carine Danis pour préciser que votre travail à la Sabena justement, c’est ça, surtout, c’est d’accueil des personnes à mobilité réduite ?
Carine Danis
Oui, en fait, nous, notre travail c’est de donner des accords, de gérer les quotas sur les différents vols. Et éventuellement mettre du matériel à bord, s’il faut mettre du matériel tel que l’oxygène ou une civière. Mais ce que je voulais dire aussi, au niveau des handicapés, c’est que ça ne regroupe pas que les moins valides. Par exemple, pour nous, un sourd-muet ou un aveugle fait aussi partie de cette catégorie-là. Parce que…
Gisèle Marlière
Là, je souhaiterais tout à fait intervenir, le sourd-muet n’a pas besoin d’assistance pour se déplacer.
Carine Danis
Il est moins valide.
Gisèle Marlière
Je suis désolée… De toute façon, il est peut-être moins valide, mais à partir du moment où on prend bien la norme d’avoir besoin d’un tiers pour se déplacer rapidement, la personne sourde-muette n’a pas besoin de cette aide.
Jean-Paul Procureur
Vous voulez dire, madame Marlière, que si on faisait rentrer moins de personnes dans cette catégorie de personnes ayant besoin d’une assistance, le problème de madame Lepersonne se poserait moins vite ?
Carine Danis
En cas d’évacuation, le sourd-muet, il ne va pas entendre les instructions.
Gisèle Marlière
Non, mais il va vouloir partir.
Carine Danis
Oui, mais, quelque part, il n’est pas considéré comme une personne valide.
Jean-Paul Procureur
Madame, madame Lepersonne.
Isabelle Lepersonne
Une petite parenthèse ironique, je me suis laissé dire qu’il y avait également un quota concernant le nombre d’animaux. Ça m’a choqué d’ailleurs quand on m’a dit ça. Qui pouvait être transporté dans un avion… Ça dérange, quelque part… évidemment, bon, quand on vient de vous dire : « vous ne pouvez pas partir », c’est quelque chose qui, tout de suite, vient en tête. Tiens, dans le fond, on n’est pas, entre guillemets, normal.
Jean-Paul Procureur
Je voudrais qu’on termine, le débat se termine déjà, mais qu’on le termine sur deux points concrets que vous avez soulevés dans le reportage : le problème des places à l’avant, là, je pose la question à madame Danis le problème… la possibilité pour quelqu’un comme madame Lepersonne d’accéder, si possible, aux places à l’avant. Qu’est-ce qu’on rencontre comme difficultés ?
Carine Danis
Actuellement, ce n’est pas possible, parce que suivant, de nouveau, ce type d’avion nous avons des places… un sitting spécial pour les personnes handicapées. Donc en fait, aussi bien le personnel navigant que les pilotes, que le commandant sait que, à une telle rangée, il risque d’y avoir un handicapé.
Jean-Paul Procureur
Vous, vous trouvez ce serait mieux que ces places-là se trouvent à l’avant ?
Isabelle Lepersonne
Absolument, un phénomène pratique : ne serait-ce que pour se rendre aux toilettes !
Carine Danis
Mais justement, le problème, c’est que…
Isabelle Lepersonne
On ne va pas me porter si je suis au fin fond de l’avion.
Carine Danis
Non, mais ça… ça a toujours été que les premières rangées où les Exit ne sont… on ne peut jamais avoir un cas médical là.
Isabelle Lepersonne
Pas la toute première rangée, mais la deuxième, la troisième ou la quatrième ? Ça, je sais que ça ne pose pas de problème, mais… la problématique qui se pose c’est que, encore une fois, au moment de la réservation, il n’y a pas moyen, malgré des écrits, malgré le téléphone, de pouvoir avoir une place à l’avant. Donc nous devons être trois heures à l’avance, pour être les premiers à enregistrer les bagages.
Jean-Paul Procureur
On retient que c’est un point qui devra être étudié. Et aussi, vous souligniez aussi le problème quand il n’y a pas de couloir d’accès pour arriver à l’avion, problème de chaises minuscules…
Isabelle Lepersonne
La chaise à porteurs… je dirais complètement la chronique, avec une insécurité totale.
Jean-Paul Procureur
On l’a vu dans le reportage, monsieur Jeandrain, votre réaction là-dessus ?
Patrick Jeandrain
Effectivement, ce serait dans l’intérêt tout le monde d’avoir directement accès à l’avion, mais dans votre cas, ce serait particulièrement intéressant. C’est ce qu’on essaye de faire d’ailleurs, l’aéroport de Bruxelles, maintenant, est en train de construire une nouvelle jetée, donc on aura beaucoup plus la possibilité d’avoir des avions directement à la porte d’embarquement. Mais quand ça n’est pas possible, effectivement, ils sont parqués sur le tarmac et donc pour y avoir accès, on doit s’y rendre en bus et pour des personnes, comme vous, effectivement, c’est assez inconfortable.
Carine Danis
En fait, c’est aussi étroit, parce que ça doit passer dans les rangées centrales.
Isabelle Lepersonne
C’est certainement angoissant de se dire que les deux hommes qui portent, d’ailleurs, ils me l’ont dit eux-mêmes, peuvent, à tout moment avoir une douleur dans le dos, ils doivent être parfaitement synchrones dans leur montée dans l’avion. Le moindre faux pas c’est tout l’équipage, entre guillemets, qui dégringole.
Jean-Paul Procureur
Voilà, je dois vous arrêter ici. C’est un débat qu’on a amorcé sur ce plateau qui va bien sûr continuer entre la Sabena, les associations de personnes handicapées, les personnes handicapées elles-mêmes, on vous tiendra bien sûr au courant de la suite et de l’évolution. Bonne soirée, à demain.